20 avril 2007
GRANDS MOMENTS D'ELOQUENCE PARLEMENTAIRE - 1958
François Mitterrand - réponse au discours d'investiture du Général de Gaulle
Réponse au
discours d’investiture du général de Gaulle
1er
juin 1958
M. François Mitterrand. Mesdames, messieurs, sur quoi allons-nous nous prononcer
dans un instant, sur quelle déclaration, sur quel texte ?
Cependant, on
était en droit d'attendre et de connaître l'opinion du Président du Conseil
pressenti sur des événements récents dont on pourrait croire qu'ils n'ont pas
existé.
[…]
Je suis de ceux qui désiraient entendre l'opinion du
Président du Conseil désigné sur les faits qui ont fixé l'orientation de la
crise, je veux parler des événements d'Algérie. Or, pas plus aujourd’hui
qu'hier, je ne suis en mesure de me prononcer autrement qu'à la faveur
d'indications telles que celle-ci : « L'armée scandalisée de la
carence des pouvoirs publics ».
Il
faut donc examiner le contexte, contexte, favorable, contexte défavorable.
Contexte
favorable : l'homme au prestige unique, à la gloire incomparable, aux
services rendus exceptionnels. L'homme de Brazzaville, qui, plus qu’aucun
autre, signifie par sa seule présence à cette tribune une espérance pour les
peuples d'outre-mer. Oui, c'est une espérance pour beaucoup de nos frères.
Enfin
le général de Gaulle incarne l'autorité indispensable à la conduite des
affaires publiques, et cela n'est pas négligeable, même si cela nous fait
entrer déjà dans le contexte inquiétant.
Je
ne doute pas, en tout cas, que le contexte favorable amènera certains de nos
collègues à déposer dans l'urne un bulletin blanc, je ne doute pas qu'ils sont
sincères et que dans ce grand débat où se pose la question : de Gaulle
sauvera-t-il la République ou bien la perdra-t-il ? ce soit le même souci
patriotique qui commande leur réponse.
Contexte
inquiétant : la réforme de la Constitution. Les indications fournies ne
nous renseignent pas. Je n’en connais que les grandes lignes. Serai-je obligé
de recourir aux souvenirs d'un itinéraire qui commence a Bayeux ? Peu
importe.
Nous
ne nous battrons pas pour les rites, pour les mœurs, pour les travers de ce
système tant dénoncé. Quelques-uns des hommes qui entourent le général de
Gaulle dans son Gouvernement sont d'ailleurs particulièrement qualifiés pour le
défaire. Ce système, ils l'ont fait, ils l'ont géré, ils l'ont perdu. (Applaudissements
à l’extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche.)
A droite. Et
vous ?
M. François Mitterrand. J'ai voté, avec mes amis de groupe, qui se
partageront dans ce vote, contre la Constitution de 1946 et j'ai voté, avec les
mêmes amis, pour tous les projets réformant cette même Constitution.
Cependant,
j'ai tout lieu de croire qu'il ne s'agit pas en l'occurrence – c'est bien
clair – d'une réforme de la Constitution, même à la manière de
M. Pierre Pflimlin. Il s'agit tout bonnement, mesdames, messieurs – pourquoi le nier, le taire, ou
l'oublier ? – d'un changement de régime. (Applaudissements sur quelques
bancs à gauche.)
Le
contexte favorable, il appartient à un certain nombre d'entre vous, qui se
prononceront « pour », de l'exposer entièrement. Pour moi, je
voudrais dire ma principale objection.
La
présence du général de Gaulle signifie, même malgré lui, que désormais les
minorités violentes pourront impunément et victorieusement partir à l'assaut de
la démocratie. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Lorsque,
le 10 septembre 1944, le général de Gaulle s'est présenté devant l'Assemblée
consultative issue des combats de l'extérieur ou de la Résistance, il avait
auprès de lui deux compagnons qui s'appelaient l'honneur et Ia patrie.
Ses
compagnons d'aujourd'hui, qu'il n'a sans doute pas choisis mais qui l'ont suivi
jusqu'ici, se nomment le coup de force et la sédition. (Applaudissements à
l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche).
En bref, au moment où l'Assemblée nationale va se
prononcer, au moment où - comme son message solennel l'a rappelé ici même
avant-hier - le plus illustre des Français se présente devant nous, je ne puis
oublier que le Général de Gaulle, président du Conseil pressenti, fut appelé
d'abord et avant tout par une armée indisciplinée. (Murmures à droite.)
En droit, le Général de Gaulle tiendra ce soir ses
pouvoirs de la représentation nationale ; en fait il les détient déjà du coup
de force. (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs à gauche.)
Quelqu'un vient de dire : dans quelque temps, vous
vous rallierez.
Eh bien ! Oui, mesdames, messieurs ! Si le général de
Gaulle est le fondateur d'une nouvelle forme de démocratie...
...si le général de Gaulle est le
libérateur des peuples africains, le mainteneur de la présence de la France
partout au-delà des mers, s'il est le restaurateur de l'unité nationale, s'il
prête à la France ce q'il lui faut aussi de continuité et d'autorité, je me
rallierai, mais à une condition...
M. Pierre Charles. Un portefeuille !
M. le Président (André Le Troquer) : Ces
interruptions sont intolérables.
Je préviens ceux qui s'en rendraient coupables que je
prononcerai des rappels à l'ordre avec inscription au procès-verbal.
M. François Mitterrand. Je prie
monsieur le Président de l'Assemblée nationale de ne pas s'émouvoir.
M. le Président. Je ne suis pas ému. ! (Rires)
M. François Mitterrand. Il est
vrai, que j'ai eu plus souvent l'occasion de refuser un poste dans un
gouvernement que ce monsieur ! (Rires)
Mesdames, messieurs, puisqu'il s'agit de nous séparer
pour des mois, puisqu'une seule chose est claire dans ce qui nous a été
annoncé, c'est que nous serons sans délai en congé, puisque nous savons que
nous est réservée une séance de pure forme, imposée par la Constitution, le
premier mardi d'octobre, puisque le général de Gaulle nous invite à nous taire
et à le laisser faire, je pense que c'est maintenant qu'il faut crier à la
Nation que les hommes qui se battent pour la liberté et pour la souveraineté
populaire, même s'ils ont le cœur plein d'inquiétude, même s'ils sont
angoissés, ne se laisseront pas aller au désespoir.
Il y a encore beaucoup à faire et la France continue.
Il y a la foi et il y a la volonté et il y a, au bout du compte, la liberté
victorieuse dans la patrie réconciliée.
Cet espoir me suffit, m'encourage, m'accompagne au
moment où je vais voter contre l'investiture du général de Gaulle.(Vifs applaudissements
sur de nombreux bancs à gauche et sur tous les bancs à l'extrême gauche.)
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