20 avril 2007
FRANCOIS MITTERRAND
LE CAS MITTERRAND
"
François Mitterrand réunit et exalte en lui les humaines contradiction
françaises "
J. Lacouture.
Neuf ans après sa mort, François Mitterrand reviendra en
février sous les traits de Michel Bouquet dans le Promeneur du Champs-de-mars,
dernier film du réalisateur français Robert Guédiguian qui suscite déjà les
inquiétudes de la mitterrandie. L'occasion pour En Rade de revenir sur les
traces d'une jeunesse française pris dans la tourmente des années noires.
La première difficulté lorsqu'on étudie François Mitterrand
vient de l'homme même. Son itinéraire, n'a rien de banal, débutant à l'extrême
droite pour incarner finalement " l'espoir du peuple de gauche ", il
a pris part aux violents affrontements idéologiques d'avant 1939, a fait la
guerre comme sergent, a vécu les drames des prisonniers de guerre, puis s'est
retrouvé à Vichy. Il a été pétainiste, giraudiste et résistant. A 27 ans il
avait déjà rencontré le Maréchal, De Gaulle et Giraud. Pétainiste puis
résistant : son parcours fut celui de nombreux français engagés dans la guerre.
Nous reviendrons sur cet itinéraire sinueux sur les ambiguïtés et
contradictions du personnage, en allant au-delà de ses propres paroles, de ses
propres écrits et des nombreuses polémiques. Tout cela dans un souci de vérité.
L'entreprise n'est pas facile, car le souvenir de l'occupation obsède et "
sature " la conscience nationale. Combien de films, de téléfilms,
d'ouvrages consacrés chaque année à cette période de notre histoire nationale ?
Ils sont nombreux et posent les jalons d'une mémoire d'un passé proche qui fait
désormais partie de notre environnement culturel et politique. Les polémiques
succèdent aux révélations, les commémorations aux procédures judiciaires. Ces
quatre " années noires " en prenant une place démesurée dans la
mémoire nationale sont le signe d'un passé à vif, trace d'un deuil inachevé…
A travers Mitterrand, c'est la question centrale de l'attitude des français
dans leur ensemble durant la dernière guerre qui doit être posée. A celle-ci
s'est ajouté ces vingt dernières années, le désir de faire ou refaire le procès
de Vichy et celui de la collaboration. Le cas Mitterrand en offre un exemple
criant. Jamais ce passé n'a autant donné l'impression qu'il n'arrivait pas à
passer. Depuis 30 ans Vichy est un objet national de dispute. Etudier le cas
Mitterrand, c'est abordé une question essentielle dans les enjeux de mémoire
récents.
* * *
MITTERRAND
DANS LA TOURMENTE DU SYNDROME DE VICHY
Les querelles de mémoire
Les querelles de mémoire autour de Vichy ont eu ses trente dernières années de
plus en plus d'effets dans la société française. Ce passé a pesé et pèse encore
sur notre présent.
Un exemple : en 1984, 3 députés de l'opposition mettaient en cause F.
Mitterrand, ce qui leur valut la perte pour trois ans de leur indemnité pour
injure au président de la république. " François Mitterand a un passé !
" s'était exclamé François d'Aubert. Autrement dit un passé vichyssois.
L'attaque n'avait rien de nouveau : les adversaires de François Mitterand l'utilisaient
régulièrement en voici deux exemples…polémiques.
La Francisque, inépuisable objet de délices pour ses
adversaires, source d'incessantes contorsions pour ses fidèles.
La francisque de Mitterrand portait le n°2202 et lui fut certainement attribué
en mars-avril 1943 pour " récompenser les services rendus à l'Etat
français ". Cette décoration fut très longtemps un tabou dont l'évocation
était mise au compte de l'acharnement de l'extrême droite, Mitterrand n'ayant
jamais pris le risque de démentir, ni de s'expliquer de manière claire. Reste
que l'on peut s'interroger sur le sens de la polémique. La francisque n'était
pas forcément la marque la plus nette de l'engagement vichyste ni un brevet
systématique de collaboration. Elle était souvent un signe de reconnaissance
accordé à des maréchalistes fidèles. La francisque constitue un symbole au
propre comme au figuré. Elle est la marque d'un service professionnel rendu
dans le cadre d'un régime dans lequel François Mitterrand, quelles qu'aient été
ses motivations profondes, a effectivement joué un rôle. Même si elle a été
décerné a une date ou les choses changent, ou des maréchalistes, voire des
pétainistes fidèles, passent à la résistance et à la dissidence, ni plus ni
moins.
Avec " Une Jeunesse française ", ouvrage paru en
1994, Pierre Péan relancé la polémique sur le passé de François Mitterrand,
latente depuis 50 ans, récurrente depuis son accession à la présidence de la
République, plongeant le pays tout entier dans le souvenir d'une période
trouble de la mémoire nationale.
Si l'ouvrage de P. Péan constitue une réelle avancée dans la connaissance du
personnage, l'affaire éclatait à quelques mois de la fin du second septennat
qui devait mettre un terme à la carrière politique de François Mitterrand.
L'arme de l'Histoire s'offrait donc non seulement aux opposants irréductibles,
mas également aux héritiers en tout genre. Et cette arme là, était d'un
maniement plus simple et plus redoutable que celle de la discussion politique.
Le débat attendu sur le bilan de 14 années de présidence a ainsi totalement été
escamoté par les empoignades sur la présence de F. Mitterrand à Vichy et sur
ses liaisons avec René Bousquet.
Mais Pierre Péan en dissipant le brouillard qui entourait encore le parcours du
jeune Mitterrand proposait un ouvrage prisonnier d'une perspective
téléologique, biographie partielle et focalisée sur " la " période
sensible car elle constituait un enjeu politique contemporain. L'indignation
nationale suscitée par ces révélations a pris son sens véritable que parce que
nous savions par définition qu'il ne s'agissait pas d'un anonyme, mais du futur
président de la République et du 1er président de gauche de la Ve République.
C'est la raison pour laquelle le parcours relativement banal d'un jeune catholique
ambitieux, d'un fonctionnaire subalterne du régime, comme il y en a eu, est
devenue sous la plume de certains commentateurs un symptôme inquiétant de la
vie politique française.
De l'usage du souvenir comme arme polémique
La campagne de 1981 ou comment la vérité politique de l'heure a supplanté
momentanément la vérité de l'Histoire.
Une fois encore avec un extrême violence polémique le souvenir de l'occupation
va se retrouver au cœur d'un débat parfois irréel. Lors de la campagne
présidentielle de 1981, l'analyse de cette polémique offre une bonne occasion
de comprendre le mécanisme de l'invective et sa fonction particulière dans le
développement du syndrome.
D'abord elle éclate à un moment important des divisions internes. Plus que
d'autres campagnes, celle de 81 voit s'affronter 2 camps irréductibles, les 2
bords de la faille bi séculaire franco-française. Au-delà des 2 leaders, c'est
la droite et la gauche historiques qui s'opposent. Rien d'étonnant donc de voir
resurgir la vieille querelle des résistants et des collaborateurs. Choisir l'un
ou l'autre des candidats, signifiait avoir prise dans les querelles du passé.
On votera ainsi juif résistant pour se venger des collabos de gouvernement. La
polémique a permis de transcender le débat traditionnel entre droite et gauche,
comme si l'enjeu de 1981 prenait une épaisseur historique et renvoyait aux
grands débats du siècle. Cette polémique qui prend des allures de guerre
fratricides hexagonales, laisse transparaître la nature idéologique de la
seconde guerre mondiale et l'absence de consensus national sur la nature du
conflit et sur sa représentation. Lors de cette campagne s'opère un transfert
de la lutte politicienne triviale, vers les combats sublimés du passé.
La part de
vérité : Mitterrand face à lui-même :
François Mitterrand pour évoquer sa jeunesse a souvent
procédé par métaphores ou laissé œuvrer quelques plumes bienveillantes.
Peut-être estimait-il qu'il y a des vérités que la génération de la guerre - la
sienne - transmet avec difficulté aux suivantes. Peut-être comme tant d'autres
de français, petits ou grands, a-t-il pensé un temps pouvoir garder sinon le
secret du moins la discrétion pudique sur certains faits. Dans ses brèves
confidences sur cette période, François Mitterrand use parfois de la contradiction
: il déclare en 1969 : " rentré en France, je deviens résistant sans
problème déchirant ". Dans un raccourci saisissant il remodèle son passé :
un et demi a disparu, l'épisode de Vichy est mis entre parenthèse. Etait-il
donc impossible d'assumer le fait qu'il fut, à son rang modeste, l'un des
cadres de Vichy que la Résistance cherchait à débaucher ? A cette époque alors
que Mitterrand aspire aux plus hautes fonctions, les rappels historiques
n'étaient peut-être pas faciles, ni les esprits préparés. Mais comme pour
d'autres personnalités politiques qui ont eu à répondre devant de l'opinion de
leur conduite passée, le secret a probablement coûté plus cher q'une confession
précoce. Car ces années ont laissé des traces matérielles (francisque, photos,
écrits sur son pèlerinage en Thuringe). Mais le comble dans cette affaire est
que le principal intéressé a grandement contribué à semer le doute dans les
esprits.
Mitterrand a pris l'initiative d'un entretien télévisé avec
J.P. Elkabach, le 12 septembre 1994 pour s'expliquer tant sur sa maladie que
sur son passé, rompant ainsi deux réserves traditionnelles de la fonction
présidentielle. Le décalage entre les attentes d'une opinion publique désemparé
et les propos ambigus du président sur le régime de Vichy et sur les leçons
qu'il en tenait, loin de calmer les esprits, a au contraire accru le trouble
des consciences. Son intervention télévisée, loin de clarifier des choses a
paru donner raison à ceux qui ne voulaient plus se souvenir que du pétainiste de
1942-1943 pour oublier le résistant de 1943-1944 et plus encore le Président de
1994. Car Mitterand a bien été tout cela.
RETOUR SUR UN ITINERAIRE SINUEUX
Les années Vichy
François Mitterrand est né le 26 octobre 1916 à Jarnac en Charente. Il reçoit
une éducation catholique. Sa famille est fortement marquée à droite. En 1934,
il monte à Paris pour étudier à la faculté de droit et à la Fondation nationale
des sciences politiques. Séduit par les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque,
il a été dès 1934 membres des volontaires nationaux, l'organisation de jeunesse
de cette ligue d'extrême droite devenue, après sa dissolution en 1936, le Parti
Social Français. Mobilisé en septembre 1939, le sergent Mitterand du 23e
régiment d'infanterie coloniale blessé par un éclat d'obus près de Verdun le 16
juin 1940 et fait prisonnier en Allemagne. A 25 ans il partageait ainsi le sort
de 1 650 000 prisonniers de guerre. En décembre 1941, il s'évade prés trois
tentatives manquées. L'exploit ne fut pas unique : 16 000 tentatives réussies
pour la seule année 1941. Installé à Vichy dès janvier 1942 (il y gardera un
domicile jusqu'en décembre 1943), il occupe un emploi contractuel, deux postes
relativement subalternes, d'abord à la Légion Française des Combattants puis en
mai 1942, au commissariat général aux prisonniers de guerres et rapatriés et
aux familles de prisonniers de guerre. Etablit par une loi du 14 octobre 1941
ce commissariat a été dirigé jusqu'en janvier 1943 par M. Pinot. Après son
renvoie par P. Laval en janvier 1943 le commissariat prendra une orientation
pro-nazie. Mais jusqu'à cette date le commissariat ne joue pas un rôle directement
politique et se consacre surtout à la réinsertion des prisonniers rapatriés,
créant une " maison de prisonnier " dans chaque département et près
de 2700 " centres d'entraides " à l'échelon local, essentiellement en
zone occupée. Cet organisme s'inscrit pourtant a bien des égards dans le droit
fil de la politique du régime. Son action civique et sociale était entièrement
placée sous l'égide de la Révolution Nationale. Selon l'historien C. Lewin :
" L'attitude des cadres du commissariat aux prisonniers de guerre était
dès le début anti-allemand donc anti-collaborationniste. Quant au régime de
Vichy, il lui apportèrent pour la plupart, à l'origine leur soutient. Toutefois
l'ambiguïté de ses relations avec l'occupant et son glissement constant sur la pente
de la collaboration augmentèrent leur méfiance et précipitèrent leur
éloignement. Leur action fut tout autant civique et sociale, apolitique et
attentiste ". En janvier 1943 Pinot est révoqué par Laval. F. Mitterrand,
âgé de 26 ans et chef de service de l'Information du commissariat pour la zone
sud. Il conserve cependant un poste à la tête des centres d'entraides, c'est à
ce titre qu'il reçoit la francisque gallique sans doute en mars-avril 1943,
époque ou les attributions devenues plus sélectives, récompensaient un
pétainisme bon teint.
Il ne fait pas de doute que Mitterrand ait été maréchaliste, à savoir plein de
confiance mais aussi d'admiration pour l'homme Pétain. Il déclare dans une
lettre du 13 mars 1941 : " j'ai vu le maréchal au théâtre […] il est
magnifique d'allure, son visage et celui d'une statue de marbre. " Il aura
d'ailleurs l'occasion de le rencontrer le 15 octobre 1942.
Qu'il ait été pétainiste, autrement dit que, dans un premier temps, il se soit
senti relativement à l'aise dans le nouveau régime, trouvant des vertus à la
Révolution nationale est également peu contestable. On en jugera par le ton et
e contenu d'une lettre, publiée par P. Péan et datée du 22 avril 1942. Non
seulement il avoue n'être pas particulièrement inquiet du retour aux affaires,
en avril 1942, de Laval, qui doit selon lui faire ses preuves, mais il condamne
la fonctionnarisation de la Légion française des combattants (L.F.C.), lui
préférant le modèle du Service d'ordre légionnaire (S.O.L.), que vient de
mettre en place Darnand, instrument d'un pétainisme musclé.
Autant qu'on puisse le suivre, F. Mitterrand paraît osciller entre des hommes
de la droite extrême et des pétainistes moins aventureux. Parmi les premiers,
installés dans les allée du pouvoir, citons G. Jeantet, membre de la Cagoule
(organisation secrète d'extrême-droite), chargé de mission au cabinet civil de
Pétain, l'un de ses deux parrains lorsqu'il reçut la francisque. Dans le
deuxième groupe exercent sur lui leur influence F. Valentin, le second directeur
de la L.F.C., M. Pinot déjà cité et Antoine Mauduit, sorte de moine-soldat.
Mais Mitterrand fut - comme le plus grand nombre - adversaire du
collaborationnisme, cette accommodation pleine et entière avec l'occupant
nazie. Notons aussi qu'il demeura imperméable à tout ethnocentrisme et donc à
l'antisémitisme d'Etat, même si la politique à l'encontre des Juifs ne paraît
pas l'avoir préoccupé à l'époque… Voilà ce qu'on peut dire sur ces années
Vichy.
Mitterrand résistant
Résistant F. Mitterrand l'a été incontestablement, à partir de l'été 1943. Il
est alors devenu responsable d'un mouvement de prisonniers résistants. Son
parcours relativement original, témoigne d'un désir d'autonomie comme du souci
d'être reconnu par des instances de la résistance intérieure et par Charles de
Gaulle.
En mars 1943, le tout nouveau RNPG ou groupe " Pinot-Mitterand "
obtient le soutien et le financement de l'O.R.A. qui regroupe des militaires,
jusque là fidèles à Vichy, passés à la résistance après novembre 1942
(dissidence giraudiste). A u printemps 1943, E. Claudius-Petit, numéro 2 du
mouvement Franc Tireur et l'un des responsables des Mouvements unis de
résistance (M.U.R.), rencontre à Lyon F. Mitterrand : le R.N.P.G. cherche à
s'insérer dans l'organisation unifiée de la Résistance intérieure. Quelques
semaines plus tard il obtiendra plus de succès auprès d'un autre responsable
des M.U.R., Emmanuel d'Astier de la Vigerie dirigeant du mouvement libération
sud. E réalité la clef du problème se trouve à Alger, au CFLN créée en juin
1943. L'accueil fut difficile : " Un mouvement de résistance des
prisonniers de guerre ? Et pourquoi pas celui des coiffeurs !? " avait
lancé le général de Gaulle lors de sa rencontre avec Mitterrand. En réalité les
mouvements de résistance voulaient la fusion entre les différentes
organisations d'anciens prisonniers, dans la logique de l'unification générale
en cours.
Le 15 novembre 1943 F. Mitterrand s'envole pour Londres grâce à l'aide de
l'ORA. Le 2 décembre il est à Alger. Sa rencontre avec de Gaulle se passe mal.
Le général demande à ce que les organisations de prisonniers fusionnent sous
l'égide de M.R.P.G.D., seule condition pour recevoir matériel et argent. Mais
F. Mitterrand refuse la tutelle du mouvement de Michel Cailliau. Les services
d'Alger ne facilitent pas son retour en France. Pourtant très vite les talents
de négociateur et d'homme d'appareil de Mitterand s'expriment. Il s'emploie
fort de ce qu'il a compris à Alger et à Londres, à jouer un rôle prépondérant
dans la fusion exigée par Alger. L'opération n'est pas simple elle consiste à
unifier un mouvement gaulliste, une branche du Front national communiste et une
organisation pétainiste et giraudiste dont le rôle va être décisif. Le 12 mars
1944, sous l'égide du CNR les responsables des 3 mouvements se rencontrent
clandestinement à Paris et fondent le MNPGD : Mitterrand est l'un des 4 membres
du comité directeur national.
Ne regroupant que des prisonniers, il n'était en rien comparable aux grands
mouvements, Combat, Libération-Sud etc.. Reste qu'il figurait dans
l'organigramme de la France combattante. Ses activités valurent à Mitterand
comme à ses proches d'être traqués par l'occupant et la milice devenue la
police politique de Vichy. Rattaché au F.F.I. leurs groupes d'actions mis sur pied
par Patrice Pelat et Jean Meunier participent à la Libération de Paris.
François Mitterrand fut l'un des quinze secrétaires généraux des départements
ministériels faisant fonction de gouvernement par intérim
Génération Mitterrand
L'ancien Président est l'exemple type du maréchalo-pétainiste devenu résistant.
Son parcours fut celui de certains Français engagés. La principale difficulté
réside dans l'évaluation chronologique du passage de l'un à l'autre.
Le premier décrochage est vraisemblablement sa démission du Commissariat au
reclassement des prisonniers à la suite de la révocation en février 43 par P.
Laval de M. Pinot. Dans le même temps tout en demeurant de sensibilité
maréchaliste il rencontre H. Freynay (Combat) et des officiers de l'O.R.A..
Mais c'est certainement quand il fut convaincu au début de l'été 43,
l'évolution de l'Algérie aidant (installation de bases du futur gouvernement
provisoire) que la Résistance devenait politiquement crédible, qu'il rejoignit
ses rangs sans plus jouer sur les deux tableaux.
Le cas du jeune Mitterrand, c'est celui d'une trajectoire fréquente pour
l'époque, dont l'épopée officielle de la Résistance a disqualifié le récit, le
réduisant à l'état de secret encombrant. Des milliers de Français n'ont pas
trouvé leur place dans cette mise en scène qui a longtemps opposé une France
résistante, supposée majoritaire, à une France pétainiste supposée minoritaire.
Ils ont vécu une autre histoire où l'on pouvait être un partisan convaincu de
la Révolution nationale avant de devenir résistant, ou l'on restait parfois
maréchaliste après être entré en résistance autant de situations fréquentes
avec les itinéraires de la minorité de dissidents et de résistants de première
heure. Pour l'historien américain Robert Paxton, l'histoire personnelle de
Mitterand est significative : " l'histoire personnelle de F. Mitterand
pendant la guerre fait de lui un Français plutôt typique, plutôt représentatif.
Beaucoup de Français ont sincèrement cru, au début, que Pétain allait pouvoir
faire mieux, beaucoup ont cru pouvoir occuper des fonctions techniques à Vichy
pendant un an ou deux. Mais la Révolution nationale et l'engrenage de la
Collaboration rendaient la situation impossible et nombre d'entre eux ont pris
leurs distances ou ont changé de camp. C'est d'ailleurs la tragédie de Vichy
d'avoir recruté de bonnes volontés qui ont mis du temps à s'apercevoir qu'au
lieu de créer leur union sacrée, comme en 14, le régime a commencé par des
exclusions. C'est un point essentiel. "
Les ambivalences et les ambiguïtés, les itinéraires en clair-obscur n'ont pus
supporter, une fois la paix revenue, la lumière irradiante du gaullisme. Bien
sûr des hommes et des femmes qui passèrent du pétainisme exalté au maréchalisme
inquiet, du légalisme à la dissidence, de Vichy à la Résistance, durent alors
se replier sur leurs souvenirs, faire de ces années une affaire intime, devenue
inavouable avec le temps.
* * *
Certains hagiographes de l'ancien président ont tenté de
travestir les faits. On a reproché à F. Mitterrand lui-même de "
fonctionner au trou de mémoire et de manifester une " incapacité à revenir
sur soi ". Mais n'est-ce pas en définitive lui faire porter seul le défaut
de toute une génération ? Car cette histoire c'est d'abord celle de tout un courant
de la résistance, voire d'une partie des Français. Certains ont continué à
chercher le cadavre qui se cacher dans quelques malles secrètes de l'Elysée.
Mais cela nous expliquera-t-il les ambivalences d'un homme qui appartient
autant à son passé qu'à notre Temps ? Serons-nous mieux éclairés sur la
génération Mitterrand qui a traversé la guerre et porte encore la trace des
ambiguïtés de l'époque ? Le cas Mitterrand et l'idée qu'il s'est faite de la
gestion des séquelles renvoient à une évidence : l'ex-président est un homme de
sa génération, qui est celle de la défaite, de l'occupation, de Vichy mais
aussi celle de la Résistance, de la Libération mais encore celle de
l'épuration, des dilemmes de l'après-guerre et de la Reconstruction. Cette
évidence, pour la comprendre, il est nécessaire d'embrasser d'un seul regard
toute la période de la crise. Les clivages de l'occupation passèrent à
l'intérieur d'une même conscience tandis que l'individu, lui, tentait de
traverser l'épreuve en restant aussi intact que possible. Ces clivages d'il y a
un demi-siècle expliquent sans doute même s'ils ne les justifient pas les
positions de l'ancien président sur ces questions si sensibles.
L'histoire est une relecture et une réécriture constante du passé et rien ni
personne n'interdisent de s'interroger de manière récurrente sur cette période,
sur sa signification profonde, sur ses prolongements éventuels. A condition de
ne pas perdre de vue le respect de la vérité, à condition de ne pas utiliser le
souvenir comme un alibi politique et une arme polémique.
La première obligation du devoir de mémoire est le respect de la vérité en tout
cas d'une certaine humilité face à la tragédie et à la complexité de ces années
terribles. La seconde est de ne pas exiger des générations passées la lucidité
et le courage dont on peut faire preuve après coup en temps de paix, alors que
la France n'a rien connu de comparable au cataclysme de la seconde guerre
mondiale depuis 1945. La polémique sur le passé de F. Mitterrand constitue une
des manifestations les plus aiguës du " syndrome de Vichy ". Non
seulement ce passé ne passait pas, mais il remontait brusquement, tel un
malaise parvenu à son paroxysme. Tandis que la clameur s'amplifiait, l'affaire
Mitterrand apparaissait comme le sommet d'un processus dans lequel se mêlaient
toutes les attentes insatisfaites, les ambiguïtés entretenues ou les illusions
tenaces sur une possible résorption volontariste du traumatisme engendré par
les souvenir douloureux de l'an 40.
Bibliographie
Ouvrages généraux
Lacouture J., François Mitterrand une histoire de français, Le Seuil,
Paris, 1998.
Péan P., Une jeunesse française. François Mitterrand 1934-1947, Fayard,
Paris, 1994.
Ouvrages spécialisés
Lewin C., Le retour des prisonniers de guerre français, Paris, P. U.
Sorbonne, 1986.
Rousso H., Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours, Le Seuil, coll.
points histoire, Paris, 1987, 1990.
Conan E., Rousso H., Vichy, un passé qui ne passe pas, Gallimard, coll.
Folio histoire, Paris, 1996.
Revues
L'histoire N°spécial, " Le dossier Mitterrand ", N°253, Avril 2001.
" Entretien de Robert Paxton par Eric Conan ", L'Express, 16 juillet
1992.
Témoignages
Mitterrand F., Ma part de vérité, Fayard, Paris, 1969.
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