20 avril 2007
MACHINES A FRAUDER
A mesure qu'approche le premier tour de l'élection
présidentielle, la méfiance grandit. Rejoignant la majorité des formations
politiques de gauche, le Parti socialiste (PS) vient de demander un moratoire
sur l'utilisation de machines à voter électroniques pour les prochaines
élections – présidentielle et législatives. François Bayrou avait déclaré,
début mars dans le magazine Politis, qu'il fallait "suspendre
toute utilisation" de ces appareils, qui équipent une cinquantaine de
communes françaises. Des grands partis, seul l'UMP n'a pas manifesté
d'hostilité vis-à-vis du vote électronique.
Sur Internet, le sujet déchaîne
les passions. Une pétition, lancée voilà quelques semaines par les
informaticiens Pierre Müller et Chantal Enguehard (université de Nantes) sur le
site ordinateurs-de-vote.org, vient de franchir le cap des 56 000 signataires.
Le blog betapolitique.fr propose, lui, un formulaire pour faire "annuler
les machines à voter en dix minutes via une class action [action collective] en
référé".
En dépit de cette défiance quasi
générale, un à deux millions de Français devraient voter, les 22 avril et 6
mai, grâce à ces terminaux. Trois modèles sont agréés en France, conçus et
fabriqués par le néerlandais Nedap, l'américain ES&S et l'espagnol Indra Sistemas.
Les machines à voter, plaident
leurs constructeurs, permettent un dépouillement immédiat, sans besoin de
scrutateurs, sans gâchis de papier et sont accessibles aux personnes
malvoyantes. Certes, disent les détracteurs, mais le vote électronique ne peut
pas être soumis à un contrôle des citoyens.
"Le système de vote actuel a été conçu pour que quiconque, même le plus ignorant, puisse se forger l'intime conviction que le vote s'est déroulé honnêtement, dit Roberto Di Cosmo, chercheur au laboratoire Preuves, programmes et systèmes (CNRS, université Paris-VII). Lorsque le vote se fait par voie électronique, est-il possible de se forger, seul, la même conviction ? La réponse est non : il faut recourir à l'expert, à l'argument d'autorité." De fait, la composition exacte (le code-source) des programmes informatiques installés sur ces machines n'est pas rendue publique. Elle est contrôlée par des organismes indépendants comme Bureau Veritas, mais pas par les citoyens.
Si le logiciel de vote est altéré
ou remplacé par un programme frauduleux – qui avantage un des candidats par
exemple – comment le savoir ? L'Association for Computing Machinery (ACM), la
principale association mondiale d'informaticiens, basée aux Etats-Unis, ne voit
qu'une seule solution : tout dispositif de vote électronique devrait être
doublé d'un système d'impression d'un bulletin papier que l'électeur pourrait
contrôler visuellement. Un recomptage de ces bulletins pourrait ainsi valider
le vote électronique. Mais, en France, le règlement technique, émis en novembre
2003 par le ministère de l'Intérieur, n'oblige pas les fabricants à équiper
leurs machines de ce système de doublon imprimé.
Le risque est-il réel ? "Sans
que des fraudes avérées aient été mises au jour, plusieurs cas de défaillances
de systèmes de vote électronique ont été relevés ces dernières années, surtout
aux Etats-Unis, mais aussi en Europe", affirme-t-on au PS. De
multiples incidents de fonctionnement auraient ainsi été répertoriés, selon le
parti de Ségolène Royal. "Le plus notable : à Sarasota en 2006
(Floride), environ 18 000 voix semblent n'avoir pas été enregistrées dans une
élection pour la Chambre des représentants se jouant à 369 voix."
A l'automne 2006, des informaticiens néerlandais ont désossé une machine de marque Nedap et sont parvenus à en changer le logiciel. Des chercheurs américains de l'université du Connecticut ont de leur côté réussi à détourner le logiciel d'une machine de marque Diebold (non commercialisée en France). Ils ont en outre réussi à faire en sorte que le caractère frauduleux du programme installé ne soit pas détectable avant une date donnée, rendant indétectable la manœuvre par des tests préélectoraux.
Un exemple fameux de dysfonctionnement est celui de Schaerbeek (Belgique), en mai 2003. Le décompte des voix exprimées avait alors excédé de près de 4 000 le nombre d'inscrits dans la circonscription ! Les experts chargés d'élucider l'énigme n'ont rien décelé d'anormal dans le fonctionnement de la machine incriminée. Ils ont conclu à "l'inversion spontanée et aléatoire d'une position binaire" dans les circuits de l'ordinateur fautif. Pour faire simple : un "bit" qui devait normalement être de valeur 0 a pris la valeur 1. Un faux calcul électoral en quelque sorte…
Stéphane Foucart
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