17 mars 2007
Claude Aiguevives, vice-président de Médecins du Monde
ça date un peu mais...
Claude Aiguevives
Pédopsychiatre au Centre Hospitalier de Béziers.
Président de la voix de l'enfant qui est à l'origine du site pilote.
Claude Aiguesvives a créé il y a deux ans un centre pilote qui reçoit les
enfants victimes de violence à caractère sexuel. C'est l'initiative de
l'association " la voix de l'enfant " qui a été soutenu par le
Ministère de la Justice. Quand une plainte a été déposée (par l'institutrice de
l'enfant, par une assistante sociale...), le Procureur de la République demande
une audition dans ce service de pédopsychiatrie, l'entretien est mené par un
officier de la gendarmerie ou par la police des mineurs. Si les déclarations de
l'enfant prouvent qu'il est en danger, au lieu de le conduire directement dans
un foyer d'accueil, il reste dans le service pour un suivi psychologique.
Pouvez-vous définir ce qu'est l'inceste ?
L'inceste est un terme utilisé par les psy car juridiquement, ça a disparu.
Pour nous, c'est la relation à caractère sexuel d'un parent sur un descendant.
Plus largement, au niveau psycho-anthropologique, c'est la relation sexuelle
entre deux personnes d'une même fratrie. Aujourd'hui, certains chercheurs
proposent d'élargir l'inceste à toute personne vivant sous le même toit que
l'enfant, ayant autorité sur l'enfant et partageant le lit avec un des
ascendants de l'enfant.
Aujourd'hui, il existe deux sites pilotes (Saint-Nazaire et Béziers).
Comment est née l'idée de la création du premier site pilote ?
J'ai travaillé pour Amnesty internationale sur les abus psychiatriques en
Russie durant la période de Brejnev et sur la violence politique en Iran. Je
suis devenu vice-président de Médecins du Monde où je me suis occupé de
programmes d'enfants en Iran et en Roumanie, en ex- Yougoslavie puis au Rwanda.
J'ai constaté que les enfants avaient tout autant besoin d'aide psychologique
que de la justice. Un enfant a besoin que cela soit reconnu. Une agression
sexuelle va évoluer dans la tête de l'enfant, toute sa vie il se posera la même
question : " est-ce que je ne suis pas coupable de ce que j'ai subi ?
". Quand l'entourage repousse l'enfant et lui dit qu'il fabule, il va se
remettre en question au niveau de son identité et ne plus savoir qui il est. Ce
n'est qu'après qu'il peut y avoir réparation psychologique. C'est pour cela que
l'on travaille avec la victime.
Il y a deux ans, c'est sous l'autorité du Ministère de la Justice que
l'association la Voix de l'Enfant, que je préside, a lancé l'opération :
l'enquête judiciaire démarre par une audition de l'enfant au centre de pédopsychiatrie
de l'hôpital. L'enfant est écouté par un représentant de la police ou de la
gendarmerie mais il est encadré par un médecin et un psychologue pour qu'il ne
subisse pas un nouveau traumatisme. Il y a une articulation avec le service de
pédopsychiatrie, nous disposons de lits de pédiatrie quand un enfant ne peut
pas rentrer chez lui. Nous lui trouvons un foyer. Alors que normalement, dès
que l'enfant avait parlé et que les faits relatés étaient graves, il partait
tout de suite en foyer. Toutes les auditions sont filmées, ce qui évite à
l'enfant de devoir répéter son histoire.
Qu'est-ce qui fait la nouveauté de cette structure ?
C'est la prise en compte de l'enfant, non pas comme un plaignant qui révèle et
porte plainte, mais comme une personne qui souffre de ce qu'il a vécu.
L'hôpital reçoit tous les accidentés de la vie, on soigne les plaies qui se
voient et celles qui ne se voient pas, les victimes d'inceste en font partie.
Depuis deux ans que ce service existe, combien d'enfants y avez- vous accueilli
?
On reçoit en moyenne 2 à 3 situations par semaine pour 260 000 habitants.
Par qui ces enfants ont-ils été agressés le plus fréquemment ?
90% des enfants sont agressés par une personne qu'ils connaissent à l'intérieur
de la famille. Les cas d'inceste pur (avec lien biologique) sont les moins
fréquents. En revanche, on a beaucoup d'agressions commises par les
beaux-pères, par un des enfants plus âgés du beau- père ou de la belle-mère.
Que se passe-t-il après ce genre d'audition ?
Après l'audition, l'enfant subit une expertise médico-légale dans le même lieu
que l'audition. Si l'enfant vit sous le même toit que l'agresseur, il est placé
dans notre service, si ce n'est pas le cas, il peut rentrer chez lui. En cas de
doute de la parole de l'enfant, c'est le procureur qui prend une décision. S'il
considère, après nous avoir consulté, que la parole de l'enfant est crédible,
il saisit le juge pour enfant qui engage une " enquête préliminaire
".
Que pensez-vous de cette critique émise par un procureur : " un enfant
doit être entendu au commissariat ou à la gendarmerie car l'inceste est un
délit et non une maladie et l'enfant peut croire, en étant entendu à l'hôpital,
qu'il est malade " ?
Une agression sexuelle, c'est une blessure. Au delà du besoin de justice,
l'enfant a besoin d'un accompagnement. Ensuite, les examens " gynéco ou
recto " sont nécessaires. Or, ce sont des examens qui touchent des parties
intimes, c'est un entourage spécialisé qui est mis autour de l'enfant pour
l'aider. Cela évite à l'enfant de devoir se rendre à plusieurs endroits
différents. Ici, tout est groupé.
A-t-on aujourd'hui quelques certitudes sur ce qui pousse un adulte à abuser
de son enfant ?
On a des éléments de compréhension, des situations psychosociales qui favorisent
l'inceste. On décrit le plus souvent des familles qui ont du mal à s'ouvrir
vers l'extérieur, qui sont organisées autour d'un père tout puissant et qui
bien souvent aux générations précédentes ont déjà connu des situations
incestueuses. Concernant les beaux-pères, les situations de violences sexuelles
sur l'enfant de la compagne sont fréquentes car la transgression est plus
facile, n'étant pas lié à l'enfant.
Les conséquences sur les victimes sont-elles différentes suivant qu'il
s'agira d'un père incestueux, d'un cousin, d'un frère ou d'un oncle ?
Oui. Le devenir est différent. Quand il s'agit du père, c'est sa filiation,
donc c'est plus grave, il y a un double traumatisme : sur la filiation et sur
sa sexualité. Alors que, si c'est un frère, un cousin ou un oncle, il n'y a
qu'un traumatisme, celui de son intimité.
On assimile souvent l'inceste à une agression sexuelle commise par un homme.
Les femmes ne commettent-elles pas ce type d'abus ?
C'est une question très controversée car on pense aujourd'hui que l'inceste est
lié à la " sexualité prédatrice de l'homme ". Toutefois, il y a un
certain nombre de femmes qui ont un rapport incestueux avec leurs enfants.
D'abord, le plus souvent, on constate qu'il n'y a pas de problématique "
psychiatrique " repéré chez un homme incestueux, ce que l'on retrouve chez
la mère. On trouve des mères qui dans leur tête continue à imaginer que cet
enfant de 3 ou 4 ans est un bout de leur chair, elles n'arrivent pas à couper
le cordon. Quand une femme agresse son enfant, le plus souvent, ce sont des
attouchements, elles masturbent leur petit garçon. L'inceste commis par la
mère, c'est peut- être encore caché mais c'est encore assez rare.
Une autre explication qui pousserait une femme à toucher son enfant, c'est
qu'il y a des hommes qui se comportent à l'intérieur de la famille comme des
maquereaux, qui ont des rapports de violence avec leurs épouses, qui pratiquent
une sexualité hard. Ces épouses vivent dans la peur et ont perdu tout repère
dans la sexualité " normale ". Ces maris peuvent amener leurs femmes
à être dépossédées de leur dignité de mère ce qui peut les conduire à déraper,
donc c'est la conséquence d'actes forts de domination de l'homme.
Y a-t-il un rapport entre la gravité des faits (attouchement, viol...) et le
préjudice subi par la victime ?
Non, ce n'est pas parce qu'il y a attouchement ou viol que le préjudice est
plus ou moins grave. Ceci est plurifactoriel : c'est lié à l'agression, au type
d'agression, aux autres actes de cruauté associés à l'agression sexuelle, à la
réaction de l'enfant, à celle de l'agresseur, à la fréquence et la durée car
des enfants qui sont abusés pendant de longues périodes vont avoir des
problèmes sur leurs conduites sexuelles. Par exemple, on sait que 2 prostituées
sur 3 au moins ont été victimes d'agressions sexuelles. Beaucoup d'auteurs
imposent le silence à l'enfant. Dans le sujet par exemple, le père disait au
petit garçon que s'il parlait, le père allait le tuer. Tout ça accentue le
traumatisme. Enfin, c'est lié à la reconnaissance des faits par l'auteur. Et
tout cela aggrave le préjudice.
Lorsqu'il n'y pas de passage à l'acte, l'inceste moral est-il autant
dévastateur ?
Dans le cas de l'inceste moral, il y a un déclinement incestueux qui entraîne
des confusions entre la sexualité du père et de celui de l'enfant. Par exemple,
le parent va avoir des propos dans lesquels l'enfant ne doit pas être mêlé. Par
exemple, un papa pense bien faire en racontant la façon dont sa compagne lui
fait l'amour, il imagine éduquer l'enfant dans sa sexualité, autre exemple, les
parents qui regardent une cassette X devant l'enfant. Tout cela est incestueux.
Il ne faut pas affoler tout le monde. L'enfant est curieux par nature. Quand
c'est lui qui va discrètement entrebâiller la porte de ses parents pour voir
comment ils font l'amour, ce n'est pas traumatisant, ça le fera rire. Alors que
lorsqu'on montre, ce sont des besoins qui ne sont pas les siens et là, il est
choqué. On peut alors se poser quelques questions : peut-on se balader nu
devant son enfant, peut-on prendre un bain avec lui ? Pour être nu, il faut
être beaucoup plus clair dans sa tête que quand on est habillé. Pour le bain,
moi je recommande aujourd'hui aux parents à partir d'un certain âge, 3 ans, de
ne pas prendre le bain avec l'enfant. A cet âge, l'enfant a des représentations
c'est-à-dire que cela va laisser des traces au niveau de la vie imaginaire.
Que pensez-vous de la responsabilité de la mère quand l'inceste a été commis
par le père ?
J'ai l'habitude, dans le secret des entretiens que j'ai avec des enfants
victimes, de voir les mamans et de les interroger sur ce qu'elles ont refusé de
subir en tant qu'acte sexuel de leurs maris. Alors qu'une maman ou une compagne
va savoir se protéger des demandes sexuelles atypiques, le compagnon va trouver
quelqu'un de plus vulnérable qui va le satisfaire, et ça tombe sur l'enfant.
Souvent, la maman retrouve dans les actes commis par son mari sur l'enfant des
fantasmes qu'elle lui a refusé.
Mais pourquoi le père n'évacue-t-il pas ses fantasmes auprès de femmes
adultes ?
Parce que la " chair fraîche " est à côté, parce que socialement, cet
homme là ne fréquente pas les prostituées.
Le plus fréquent, c'est la fellation et la sodomie, pratiques souvent refusées
par la partenaire. Un certain nombre d'agresseurs ont des besoins pulsionnels
où le désir passe par l'emprise sur l'autre. L'autre n'est plus " sujet
" mais " objet ". Le père déshumanise l'enfant, il ne le voit
plus comme son enfant mais comme une chose. Le retour à soi entraîne un clivage
énorme, les deux personnalités de l'agresseur ne se rencontrent pas car si
elles se rencontrent, c'est la mort. Beaucoup d'agresseurs se suicident quand
ils découvrent ce qu'ils ont fait. Donc ils " clivent " le loup qui
les habite afin de ne pas être dévoré psychologiquement. Cela passe par
l'annulation, " ça n'a jamais existé ", c'est de la perversion. Les
seuls agresseurs avec qui on peut travailler ont comme caractère de se repentir
donc d'avouer leur trouble. Avec ceux qui nient, comment retrouver des liens ?
Ils rendent l'enfant fou.
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